Thérapie et point aveugle
LE POINT AVEUGLE
Le point aveugle est l'endroit de la rétine où arrive le nerf optique. Forcément, à cet endroit là, il n'y a pas la place pour avoir AUSSI des cellules phootosensibles. C'est un point de l'oeil qui ne "voit" pas.
Pour le trouver, regardez l'image ci-dessus. Placer votre main gauche sur l'oeil gauche. Avec l'oeil droit, regarder la croix. Avancez et reculez la tête. A un moment, le point noir disparait. Son image se forme sur le point aveugle de l'oeil.
LA THERAPIE ET LE POINT AVEUGLE
On me demande parfois ce que je pense de telle ou telle thérapie. Voici la réponse que j'ai faite jusqu'à présent.
La thérapie, l'outil, la technique n'est pas le plus important. Il y a une élément qui pèse bien plus dans la balance, c'est la relation. Quelle confiance, quelle envie de cheminer ensemble va s'établir entre les deux partenaires sur le chemin de l'accompagnement? Quelle est la relation que j'entretiens avec le thérapeute que je choisis?
Aujourd'hui, je me raconte une tout autre histoire
J'imagine une personne qui ne se sentant pas bien chez elle envisage d'améliorer son cadre de vie. Elle va en prendre soin. Elle va tout nettoyer, mais ça ne suffira pas. Alors, elle va bichonner son intérieur. Repeindre, décorer, agencer autrement. Ce sera mieux, mais pas encore tout à fait ça. Peut-être la façade va t elle changer d'aspect, devenir plus belle, encore plus soignée. Il restera encore un quelque chose de désagréable. Alors, elle va embellir l'extérieur. Des allées, des fleurs, des plantations diverses vont donner à l'ensemble un cachet particulièrement accueillant. La maison sera belle et soignée dedans comme dehors. Après tous ces efforts, la perfection attendue n'est toujours pas atteinte. De guerre lasse, elle se laisse aller, un peu effondrée de voir que tant d'efforts ne donnent pas le résultat escomté. Rien n'avance: le malaise initial est toujours là.
Et si elle se laissait aller à écouter ce malaise, à oser l'approcher ou se laisser approcher par lui... Elle se rendrait alors compte que tout ce qu'elle a fait, tout ce qu'elle voit est parfait, exactement comme elle aime. Le problème est ailleurs. Elle accepte donc de se laisser informer par ce qui se vit en elle. Elle s'ouvre. Elle remarque une gêne qui toujours diffuse, devient plus définissable. Tout ce qu'elle voit est bien. Il y a autre chose. Cette autre chose ne relève pas de la vision. Qu'est-ce donc? Ca y est, elle reconnaît: c'est une odeur. Sa maison sent les égoûts. Elle cherche, le nez au vent, et la réponse arrive: la fosse sceptique est pleine!
Tout ce qu'elle a fait ne sert à rien concernant l'odeur à présent entêtante. Tout ce qu'elle a fait a embelli son cadre de vie. Tout ce qu'elle a fait a permis, par éliminations successives, d'arriver au coeur du problème. Tout ce qu'elle a fait est fondamentalement utile, et ne répond aucunement à l'origine du problème: l'odeur!
En forme de boutade, je dirais que les personnes qui viennent en thérapie ne savent pas pourquoi elles viennent. Elles sont comme cette personne qui cherche à améliorer le cadre visuel d'une maison dont l'odeur est gênante. Je les rassure: le thérapeute n'en sait pas pas plus!
La question “que pensez-vous de telle thérapie” suppose quelques sous-entendus:
- Elle suppose également qu'il existe chez la personne une affinité plus grande avec tel type de pratiques qu'avec tel autre. Selon que qu'elle croit que la réponse passe par l'inconscient, par le corps ou par la rencontre d'entités ésotériques, elle va sélectionner, dans l'éventail largement ouvert des thérapies celles auxquelles elle peut accorder sa confiance. La question posée a déjà fait un tri pour sélectionner les thérapies jugées efficaces.
- Elle suppose également une attente sur la forme de réponse espérée. Même si le but final est de vivre une vie meilleure, cette personne a-t-elle envie de comprendre ce qui lui arrive ou de faire la paix avec ses démons ou bien de les renvoyer au néant voire de les détruire? etc. Son “projet” est une sorte de filtre. Si le thérapeute a les mêmes ou si'l est en mesure d'accepter ceux qe la persone qui vient à lui, tout va bien. Sinon, gare aux implicites mutuels qui ne vont pas favoriser l'échange. Lorsqu'on me pose la question, je vais pouvoir dire ce que je pense de telle thérapie, au travers de mes propres a priori
- Elle suppose enfin qu'on imagine que le problème est identifié: ne faut-il pas plutôt entendre “que pensez-vous de telle thérapie vis a vis de la question qui m'habite”. Poser la question de cette manière aurait l'avantage de bien poser le problème… ou tout au moins de mettre l'accent sur la difficulté à bien le poser. Ce qui constitue déjà un grand pas. Il vaut mieux ne pas savoir où l'on va et être prêt aux découvertes sur le chemin, plutôt de que partir bille en tête en décicdant au prélable que la direction empruntée est la bonne
Tous ces sous-entendus forment une sorte de point aveugle qui empêchent de cerner clairement le problème (c'est l'histoire de cette maison dont on améliore l'aspect visuel alors que c'est l'odeur qui est gênante). Ce qui constitue le noeud du problème est bien souvent difficile d'accès. On comprend aisément qu'il soit plus facile de se tenir à distance de ce qui est trop souffrant. Deux stratégies sont extrêment efficaces:
- s'occuper des abords donne la possibilité de faire du travail, parfois beaucoup, autour du coeur du réacteur. On a l'impression de comprendre, de progresser. On peut aussi avoir l'impression que rien ne fonctionne. Dans le premier cas, la maison devient plus belle, même si l'idéal n'est pas atteint; dans le second, on y est toujours aussi mal, et c'est désespérant.
- Ne pas avoir conscience, en toute bonne foi, qu'on a ce "problème". Il disparaît de l'écran radar! On peut même le trouver chez les autres, avec un degré d'insupportabilité tel qu'il nous est impensable qu'il puisse nous concerner. On n'ira donc JAMAIS chercher une chose dont on ne sait même pas quelle existe. C'est très économique: comme on ne sait pas ce qui est là, on n'a aucun effort à faire pour s'en écarter, ou pour aller le voir.
Dans mon expérience, l'explication et la compréhension ne permettent JAMAIS d'atteindre cet endroit.
Ce volcan si intimement caché se laisse découvrir par la bande. Il est comme ces étoiles qu'on distingue du coin de l'oeil et qui disparaissent lorsqu'on on essaie de les regarder en face. Un volcan reste invisible tant qu'il a sur lui un bouchon assez solide. Parfois, il produit quelques secousses. Certaines sont si subtiles qu'il faut des appareils sophistiqués pour les déceler. Parfois, il laisse échapper quelques fumerolles. Une émotion inexpliquée, une forte aversion ou un attrait puissant voire même une indifférence forcenée…. tout ce qui est inexpliqué, tout ce qui est justement nommé “incompréhensible” est une indication vers ce point aveugle. C'est un signal dont le mental ne sait que faire, mais que le corps ou le système émotionnel décode parfaitement. Là où la raison dit “je n'y comprends rien” ou même “ça n'a pas de sens , allons voir ailleurs”, d'autres signaux invitent à s'asseoir, à attendre, à se laisser informer, curieux, sans attente ni questions. ou bien à se mettre en marche pour aller rencontrer. Alors, seulement nous pourrons élargir notre regard et apercevoir du coin de l'oeil cette étoile fuyante. Alors, nous comencerons à percevoir l'odeur qui rend notre maison si peu habitable.
Nous n'auront plus besoin que quelqu'un nous dise “ce qu'il pense de telle thérapie”. Nous saurons entendre si le thérapeute qui est là convient, s'il est en mesure de cheminer avec nous vers ce point aveugle, les yeux grand ouverts.
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